Même la mort ne nous séparera jamais.

Ce soir-là l’auberge de Proncilia était pleine à craquer. Les conversations allaient bon train, ce soir là, les aguicheuses étaient de sortie. Les miliciens étaient dans leur coin habituel, à l’écart des autres citoyens, harcelés par quelques catins en quête de leurs faveurs. La pièce agréablement chauffée diffusait une odeur d’épice et de bois séché. Une musique entraînante était jouée avec entrain par une troupe itinérante qui était de temps en temps ponctuée par les éclats de rire compulsif d’un ivrogne et le chant d’une femme un peu trop éméchée. La porte de l’auberge s’ouvrit subitement, de l’intérieur, laissant filtrer une lumière chaleureuse qui vient aussitôt mourir dans la nuit.

Un homme sortit en trombe de ce capharnaüm. Dans sa course maladroite il bouscula les passants qui se trouvaient sur sa trajectoire. En l’occurrence une femme, accompagnée d’un géant à l’air peu recommandable. Pas de chance. Le colosse lui adressa un revers de la main qui lui fit tout bonnement décoller la tête des épaules. Gunarïon reprit sa route sonné quoi qu’il faisait un peu plus attention ou il mettait les pieds . Il déambula sur quelques mètre, jusqu’au bord du canal, là où il s’affala contre la barrière. Il fixait maladivement le cour d’eau.


Le fleuve semblait endormi si ce n’étaient les agréables bruissements de l’eau qui revenaient sans cesse. Les faibles rayons de lune dessinaient les contours d’une masse amorphe. Peu à peu les formes se firent plus nettes, c’était une femme, allongée paisiblement telle une sirène sur son lit aquatique. Sa chevelure dorée scintillait comme une étoile dans un océan de ténèbres. C’était une jeune femme. Les mouvements de l’eau ballotés son corps, on aurait dit qu’elle respirait encore. Elle était belle et sensuelle dans sa robe que l’humidité avait rendu translucide.


Gunarîon se pencha un peu plus vers le canal en s’appuyant sur la rambarde. Il tendit la main vers la dormeuse. Gunarîon pouvait presque l’effleurer. Etait-elle réelle ? Il ne savait pas, Il ne savait plus. Tous ses muscles étaient engourdis et son esprit était embué. Les drogues et l’alcool lui avait fait perdre la raison. Il força sur ses membres inferieurs pour s’approcher un peu plus de la jeune femme. Son visage se figea de dégout.


Son corps recouvert par la vase était détraqué, comme une poupée qu’on aurait froissée. Ses yeux aussi vitreux que ceux des poissons pourri vivant dans les marais poisseux de Gathol . Sa mâchoire fracturée, auréolée par des dents noircie, laissait pendre sa langue sur quelque centimètre. Sa robe autrefois d’un blanc resplendissant ressemblait maintenant à un immonde torchon. Plusieurs taches de sang recouvraient son bassin et d’autre partie du corps. Un clou avait été enfoncé sur le haut de son visage plein de détresse.


Gunarïon fit un bond en arrière, animé d’une surprenante énergie, il courut à toute jambe. Il n’arrivait pas à se défaire de cette horrible vision. Il fallait qu’il fuie ce cauchemar. Fuir. Le plus vite possible.


C’est ainsi que Gunarïon revint devant l’auberge aussi vite qu’il en était parti. Gunarïon ouvrit sauvagement la porte, il fut pris d’un haut le cœur, tomba à genoux et déversa ses tripes sur le parquet de l’établissement. Personne ne semblait se préoccuper de l’homme qui vomissait juste à l’entrée jusqu’à ce que Gunarïon se lève et crie : « Est-ce que quelqu’un peut me venir en aide ? Garde ! Garde ! dépêchez-vous ! il y a un corps cadavre là-bas ! C’est le diable ! J’en suis sûr, je l’ai vu ! » Puis il se remit à vomir.

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